Au cours du second empire, suite à un décret de Napoléon III, fut construit le lycée impérial [1] de Bar-le-Duc, dont l’ouverture officielle eut lieu en octobre 1857. Sa construction fut dictée par le manque de place du collège Gilles de Trèves [2].
Le 13 juillet 1935, le lycée impérial, devenu lycée national, prit officiellement son nom actuel de “Raymond Poincaré”, en hommage à cet ancien président de la IIIème république (1913 à 1920), mort en 1934, natif de Bar-le-Duc et ancien élève du lycée.
Après la guerre franco-prussienne de 1870, dont une des conséquences fut l’annexion de l’Alsace et de la Moselle, l’établissement recueillit le cours de mathématiques spéciales du lycée de Metz. De nombreux élèves de Strasbourg, Metz, Colmar, vinrent occuper les rangs de l’école.
Quelles sont les origines sociologiques des élèves, à l’époque contemporaine des années lycée de Louis Courot ? Voici ci-dessous, un extrait de l’ouvrage “La nouvelle éducation sentimentale – Une destinée” de Bertrand Louis, ancien élève [3].
"La population lycéenne comporte des fils de « petits propriétaires ou boutiquiers carapagnards » qui suivent, pour la plupart, « l'enseignement spécial ». Les « classiques » n'ont que mépris pour ces « espèces démunis de latin ». Le « clan des riches » est constitué de fils de marchands de bois, de vins, d'industriels, filateurs, corsetiers, brasseurs Meusiens et Haut-Marnais. Le « clan des Juifs » est lié au monde agricole : ce sont des fils de marchands de chevaux, de gains où de biens. On trouve également le « clan des Parisiens, pauvre et dénué d'éclat : il se composait uniquement de boursiers et de fils de petits fonctionnaires, que la proximité relative de la ville et la modicité invraisemblable de la pension (je crois me souvenir qu'elle ne dépassait pas trois cent quatre-ving-quatorze francs par an) avaient décidés à mettre leurs enfants au lycée de Bar-le-Duc"
Aux alentours de l’année 1895, c’est entre 400 à 500 élèves, dont 250 pensionnaires qui séjournèrent dans l’établissement [4].

Louis Courot entra au collège en octobre 1885 (6ième) et en sortie en juillet 1891 (baccalauréat). Il fut membre de l’Association des anciens élèves de 1923 jusqu’à son décès en 1958.
Le 14 juin 1936, à l’age de 63 ans, Louis Courot, sénateur de la Meuse nouvellement élu (7 avril 1935), prononça un discours au banquet de l’assemblée générale de l’association des anciens élèves, dont voici ci-dessous, le texte intégral [6].
“Je suis vraiment confus de présider aujourd’hui notre banquet fraternel, et d’avoir à vous faire un discours.
Mais c’est la tradition, et à mon âge on ne la viole pas. Je sais que d’illustres anciens, en des circonstances analogues, ont dit très sensiblement ce que je vais vous dire.
Tel grand bomme d’Etat l’a dit avec sa science des affaires publiques. Tel savant, doyen d’une de nos grandes facultés, l’a dit comme un lettré. Tel vaillant général l’a dit avec une énergie toute militaire. Tel autre avocat l’a fait avec une finesse d’esprit toute remarquable et ce fut le cas de M. Pol Chevalier, mon prédécesseur au Sénat, à qui j’adresse un souvenir ému.
Bien d’autres encore l’on dit autrement mieux que je ne saurais le faire.
À tous ces devanciers, c’est un sénateur que vous avez donné comme successeur et encore un sénateur d’occasion, doublé surtout d’un agriculteur.
Si les excellentes leçons reçues dans notre Lycée ont fait que jamais je ne me suis désintéressé de la chose publique, jamais non plus, grâce aux mêmes lecons, je n’ai compris la politique comme une fin en soi ; toujours, au contraire, et en cela je reste encore dans la ligne de mes prédécesseurs à ce banquet, je me suis efforcé de servir.
Mais je suis beaucoup trop nouveau parlementaire pour ne pas dépouiller facilement le sénateur, et pour ne pas apparaître très sincèrement comme votre camarade d’hier.
Au surplus, y a-t-il donc entre un sénateur et l’élève que nous fûmes sur les mêmes bancs une si grande différence, je ne le crois pas.
Comme lorsque nous étions élèves, c’est un tambour qui marque l’heure du travail au Sénat.
Nous prenons place en bavardant, tout comme jadis sur les gradins, devant un maître qui est notre président.
Certes, celui-ci ne menace pas de retenues pour rappeler à l’ordre les récalcitrants. Mais sa sonnette est impérative et sa règle souvent invite au silence. D’ailleurs n’a-t-il pas, lui aussi, à sa disposition la force publique !
Je ne sais pas s’il existe au Sénat de séquestre pour les mauvais élèves, ceux qui n’ont pas le désir d’être sage s’abstiennent de paraître, et comme jamais le maître ne fait d’appel, ils ne sont jamais collés.
Comme jadis aux élèves, le maître du Luxembourg distribue des devoirs. Certains sont des problèmes ardus qui sont à tant d’inconnues qu’il manque presque toujours une équation pour les résoudre. Je ne trahirai aucun secret en vous disant que l’équation qui manque est ordinairement financière.
Pas plus que les lycéens, les sénateurs ne sont riches. D’ailleurs si le Lycée possède un concierge, dont la loge engageante incite à la dépense, le Sénat connait à son tour le voisinage d’une autre Assemblée qui s’entend excellemment à la distribution des deniers publics.
Certains de nos devoirs sont des pensums, tout comme jadis. Des rapports innombrables, des recherches vaines, des démarches absorbantes ne procurent pas toujours cette légitime satisfaction dont nos maîtres disaient avec raison qu’elle naît du devoir accompli.
Seulement nous avons l’avantage sur nos condisciples de jadis et sur les élèves d’aujourd’hui de n’avoir pas de correcteurs, de n’avoir pas de notes. Trop souvent méme nos devoirs ne sont pas corrigés et la législature puissante les fait dormir, d’un pesant sommeil au fond de cartons, que je qualifierai de verts, toujours pour rester dans la tradition.
À la réflexion, je pense d’ailleurs que la comparaison entre le sénateur et l’élève est plus marquée que je ne viens de le signaler ; nous avons un correcteur, et ce correcteur, c’est l’opinion publique, la volonté nationale. Comme tous les correcteurs, cette opinion a ses préférés, mais elle ne met de bonnes notes, elle ne sacre bons serviteurs du pays que les bons élèves, c’est-à-dire ceux qui font leur devoir.
C’est pourquoi, mes chers camarades, votre sénateur-élève n’a pas de peine à reprendre place dans le cadre scolaire, et à se rappeler les jours déjà lointains où il travaillait dans un cadre qui nous est cher à tous.
Je me vois encore arriver au Lycée.
C’était en 1885, le matin d’un jour pluvieux d’octobre, ce qui avait rendu encore plus triste mon départ de la maison natale. Tous ceux qui ont été internes se rappellent certainement le serrement de cœur que vous inflige la séparation d’avec les parents, et le presque isolement au milieu d’inconnus que l’on arrive vite à comprendre, car à cet âge on s’adapte facilement à une nouvelle vie, à lier de bonnes relations de camaraderie qui durent.
Me voici entré en classe de sixième avec le professeur Odile, sur les conseils de notre vénérable proviseur Porcherot.
Je m’appliquais de mon mieux, mais le latin ne m’intéressait guère. Fils d’un agriculteur passionné, mon grand désir était de continuer l’œuvre paternelle, car j’aimais la terre. Je compris bientôt que je devais faire des études scientifiques, plutôt que littéraires. C’est pourquoi l’année suivante, je suivis les cours d’enseignement secondaire spécial et cela jusqu’au baccalauréat, que je passais avec succès en 1891, année à laquelle je quittais le Lycée.
Depuis, que de fois j’ai eu à mettre en pratique les théories apprises sur les bancs du Lycée. Autrefois, on disait d’un crétin qui ne réussissait dans aucune branche : « On en fera un cultivateur ». Je ne sais si là il rendait mieux qu’ailleurs, mais les temps étaient moins durs, on arrivait à vivre simplement : aujourd’hui, pour réussir, en culture comme partout ailleurs, il faut un certain bagage scientifique, et nous voyons maintenant des cours agricoles institués par des maîtres de valeur, et que suivent attentivement nos jeunes ruraux, sans compter les élèves des grandes écoles nationales.
Que de figures passent comme des silhouettes bien connues dans mes vieux souvenirs du Lycée.
Après le bon M. Porcherot et M. Roussel, proviseurs, notre censeur Navarre, plutôt sévère.
Notre si patient abbé Hannion, qui savait nous instruire en nous intéressant de ses histoires vécues.
Je revois la bonne Mme Laurent, votre digne mère, mon cher président, qui était la seconde maman de ses élèves, et puis nos vieux professeurs, M. Zemb, au regard menaçant à travers ses binocles : M. Jolly, passionné pour ses expériences de chimie: M. Paquet, tout à son laboratoire, secondé par le bon Tutu Cornet ; M. Delvalez, avec ses problèmes compliqués. M. Maxent avec sa grande barbe de patriarche ; M. Claude, si bien taillé, et M. Pettelat, au dessin d’imitation qui nous corrigeait à coups de mouchoirs : M. Guillemin, professeur de dessin graphique, homme méticuleux et précis ; M. Chantriot, toujours à Nancy je crois ; M. Pelletier, mort tragiquement il y a quelques années ; et parmi les répétiteurs, M. Bouffier, à qui aucun geste n’échappait; M. Navel, M. L’Huillier, M. Paillot, M. Baudelaire; M. Richmaun, et enfin M. Laferrière, un des rares survivants de toute cette liste.
Je me souviens des bonnes heures de récréation, des fameuses parties de barre [5] qui arrivaient à peine à nous réchauffer aux jours de grands froids, et des longues promenades du dimanche et du jeudi, plus ou moins intéressantes selon le parcours, puis des séances de tir au stand de la Fédération. Aujourd’hui les sports tiennent une plus grande place qu’à notre époque, le tennis, le football, que l’on ne pratiquait guère de mon temps, et voici que depuis quelques années les prix sont disputés à nos fils par leurs sœurs, cousines ou amies. C’est sans doute un premier pas pour le féminisme vers la députation ou le Sénat. Nous avons bien dans notre gouvernement trois femmes sous-secrétaires d’état. Je n’en suis point jaloux, et j’estime que certains postes peuvent être confiés à des mains féminines.
Peu de changement, en somme, dans la maison. Il y a quelques années deux plaques commémoratives, ont été apposées sous la voûte de la grande porte d’entrée du Lycée, en la mémoire de nos camarades morts pour la France et de l’élection présidentielle de 1913.
Aujourd’hui, une plaque-souvenir a été remise à M. le proviseur pour perpétuer la noble figure de notre grand Français Raymond Poincaré, dont le nom immortalise à jamais notre Lycée.
Il restera notre modèle à tous, et ce sera une raison de plus de rester attachés à cette maison où nous avons passé une partie de notre jeunesse dans la plus intime camaraderie, et où nous avons recu une excellente éducation et une solide instruction.
Je lève mon verre à vous, mes chers amis, à vos joies, à vos succès, à vos familles, aux camarades absents, à notre Association, que je souhaite de voir rester toujours très brillante, sans oublier la jeune génération qui fait la relève des anciens et qui, sous la direction d’un proviseur émérite et de professeurs dévoués, continuera les vieilles traditions de travail et d’honneur qui garderont toute sa vitalité au Lycée Raymond-Poincaré.”
(Applaudissements unanimes).
Notes et références :
[1] Lycée impérial de Bar-le-ducs, son histoire : https://sites.ac-nancy-metz.fr/lyc-poincare-bar-le-duc/?q=histoire-lycee
Pour en savoir plus :
– https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/IA55000772
[2] Collège Gilles de Trèves. Fondé en 1573, l’établissement cessa d’être un lieu d’enseignement en 2002. Le batiment est classé monument hitorique.
Pour en savoir plus :
– https://fr.wikipedia.org/wiki/Coll%C3%A8ge_Gilles_de_Tr%C3%A8ves
– http://www.agencecaillault.com/ancien-college-gilles-de-treve-bar-duc/
[3] Document de l’association des anciens élèves du lycée Raymond Poincaré “Regards sur le Lycée à la fin du XIXe siècle” : d’après l’ouvrage “La nouvelle éducation sentimentale – Une destinée” – Auteur : Louis Bertrand – Éditeur : Plon – Date d’édition : 1928.
Louis Bertrand, académicien : https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/louis-bertrand
[4]Page 3 du document “Aperçu de l’histoire du lycée de 1860 à 2007” – Jean-Luc Vanola.
[5]Le jeu de barre, description : https://fr.wikipedia.org/wiki/Barres_(sport)
[6]Texte fourni à titre gracieux, par les archives départementales de la Meuse. Référence : http://archives.meuse.fr/ark:/52669/a011575887050HjEoSw
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