L’exode de septembre 1914

« La bataille de Revigny » est l’un des cinq théâtres d’opération de la bataille de la Marne. C’est au cours de cette période, du 6 au 12 septembre 1914, que le territoire de Vieux-Monthier passa sous contrôle allemand. Par chance, suite aux combats, le hameau n’a eu aucun dégât matériel, contrairement aux villages alentours.

Cet article illustre les impacts du début de la guerre et de l’arrivée des troupes ennemies sur la vie des habitants de Vieux-Monthier. Nous étudierons les différents parcours d’exodes et la façon dont s’est fait le retour.

Deux récits familiaux, très précieux, celui de Marie Courot, protagoniste de ces événements, ainsi que celui du blog « papi et mamie Daunay » [1], permettent d’éclairer et de comprendre les événements. Ils donnent un portrait détaillé de la situation avec une grande précision sur les personnes impliquées.

Ci-dessous, une photo de la famille Courot-Vaillier en 1910, à la ferme de Vieux-Monthier, avec leurs âges respectifs en 1914.

Les parents :

  • 4 – Louis Courot – 41 ans
  • 6 – Lucie Vaillier -35 ans

Les enfants :

  • 3 – Cécile Courot – 15 ans
  • 5 – Marie Courot – 12 ans
  • 9 – Suzanne Courot – 11 ans
  • 1 – André Courot -10 ans
  • 7 – Léon Courot – 9 ans
  • 8 – Simone Courot – 4 ans

2 -Louis Vaillier, frère de Lucie – 38 ans
10 – Marie Birckel [2] – préceptrice – 26 ans

Les préparatifs de guerre et La mobilisation

« Quelques sapins au carrefour de routes meusiennes.. une ferme [Vieux-Monthier]… dans les champs, des hommes inquiets font la moisson… des bruits de guerre circulent que le retour subit du 94° régiment d’infanterie à Bar-le-Duc, en marche sur le camp de Châlons, rendent plus plausibles.

[…]

C’est la fin de juillet 1914; Marie Birckel [2], institutrice libre dans une famille meusienne [famille Courot-Vaillier], va quitter, elle aussi, en hâte, ses fonctions, devant la menace ennemie. Demain, 30 juillet, des hommes rejoindront leur régiment, frontaliers appelés par ordres individuels. Demain, ce sera la guerre; les études sont finies; Marie Birckel rejoint à Variscourt (Aisne) la maison maternelle. »

Extrait du livre : Agents secrets – l’affaire Fauquenot-Birckel Paul Durand – Payot Paris

Louis Courot, 41 ans et père de 6 enfants, exploitant de la ferme de Vieux-Monthier, a rejoint la mobilisation le 31 juillet 1914. Il a intégré le 5ème régiment d’artillerie à pied (RAP) et a été affecté au fort de Marre dès le 2 août 1914, au nord-ouest de Verdun.

Le début de la guerre

La mobilisation des jeunes hommes a perturbé les usines dans lesquels ils étaient employés. Ce fut sans doute aussi le cas pour la tuilerie des Islettes (Meuse), dont Henry Savet était le gérant. Elle a été fermée, ils n’avaient donc pas de raisons de rester sur place. Les cousins Savet-Chevalier, Henry (48 ans), Alix (37 ans), Eugène (16 ans), Édmond (13 ans), Marie (8 ans) rejoignirent Vieux-Monthier.

Marie Geminel, la mère de Lucie Vaillier, se rendit à Vieux-Monthier, elle n’a plus eu de raison de rester à Ville-sur-Tourbe (51). Elle était veuve, et son fils (Louis Vaillier 38 ans), lui aussi demeurant à Ville-sur-Tourbe, a été mobilisé.

Lien pour obtenir l'image ci-dessus en grand format : 
filiation Jacquemart-Patin - Exode de Vieux-Monthier - sept. 1914

L’approche du front à Vieux-Monthier

Septembre 1914

Le bruit du canon se rapproche…

[…] Papa [Louis Courot] est au fort de Marre dans une casemate dont les canons sont affectés à la défense.
Comme nous étions inquiets le jour de son affectation, après le répit accordé au début, lorsqu’il était chargé des réquisitions de bétail pour l’armée, dans la région de Verdun je crois. Et voilà que maintenant une armée allemande nous envahit.
Maman a dépêché un cycliste auprès de Papa au fort de Marre (je crois Eugène Abend, le fils du vacher de la route de Laheycourt). Il a rapporté les décisions de Papa, les précautions à prendre si nous devions partir. Papa a déposé de l’argent au Crédit Lyonnais de Vannes.

Récit de Marie Courot

Le départs des habitants

La famille Courot-Vaillier se prépara à partir. Les cousins Savet-Chevalier, quant à eux, s’en allèrent avec les ouvriers agricoles de la ferme à Bar-le-Duc, où ils furent hébergés par les habitants. Seule exception, Eugène Savet [3], est aussi parti avec ses cousins Courot.

Le trajet vers Quiberon

Le 6 septembre nous partons dans la vieille tapissière [4] pour prendre un train à Revigny, direction St Dizier. Maman [Lucie Vaillier] arrivée là s’aperçoit qu’elle a oublié les documents indispensables. On couche à Chancenay chez Cousine Mathilde, pendant qu’elle retourne à Vieux Monthier. Le lendemain nous prenons le train direction Nevers […]

Récit de Marie Courot

La chronologie, ci contre, est établie à partir du récit de Marie Courot, retracé dans le document « Souche d’Argonne » [5] de son fils Jean-Marie Menu. Il y a certaines imprécisions qui ne permettent pas de déterminer de manière très précise les dates en lien avec cette aventure.
Cependant, la date de départ est très bien précisée par Marie. De plus, elle correspond bien aux événements d’arrivée des troupes sur Vieux-Monthier. La date d’arrivée à Quiberon semble elle aussi très probable. En effet, Marie précise qu’à la fin d’un office religieux, une annonce au tambour signale « une grande victoire sur la Marne ». Tout ceci est cohérent : fin de la bataille de la Marne le 12 septembre et messe le dimanche 13 septembre.

D’après le récit de Marie Courot, la destination prévue était Nevers où la famille espérait trouver refuge chez une certaine « Nounou de Zon » qui habitait à proximité de cette localité. Le destin en a décidé autrement, obligant la famille à reprendre un train vers Tour. L’épargne familiale étant à Vannes, ville relativement proche, Lucie Vaillier a semblé choisir cette étape. Arrivés sur place…

…Maman fait quelques recherches : peut-être savait elle que la famille Didion était là puisque Georges, blessé au bras droit en août avait été hospitalisé ici, et que sa famille évacuée d’Arras l’y avait rejoint. On nous dit qu’il est maintenant en convalescence. Prévenu par téléphone, il arrive le soir même. Ils doivent partir pour Quiberon. Dés le lendemain nous embarquons nous aussi dés que Maman a mis à la Banque de France à Vannes les « valeurs » emmenées sur les conseils de Papa.

Récit de Marie Courot

Marie Courot précise dans une correspondance :

Quand nous étions « émigrés » à Quiberon à la « débâcle »de septembre 1914 après le désastre de la “Marne”, nous étions allés “par la force des choses » jusqu’à Quiberon après avoir là-bas retrouvé Suzanne Desoutter (petite-fille de grand père Célestin), Madame Didion, son mari Georges dont la mère et la sœur « évacuées » d’Arras étaient venues le rejoindre pendant sa convalescence suite à une première blessure de guerre au cours du mois d’août.

La libération de Vieux-Monthier

C’est par annonce publique à la sortie de l’office, très probablement celui du dimanche 13 septembre, que la famille a été prévenue de la débâcle des allemands.

Le lendemain nous assistons à la messe de la paroisse. À la sortie nous sommes accueillis par un roulement de tambour. Lecture du communiqué officiel : “Grande victoire sur la Marne”. Les allemands après, je crois, la bataille de la Vaux-Marie, sont en retraite par la forêt de Bellenoue et la tranchée Kellermann [6] !! Un vrai miracle pour nous… »

Récit de Marie Courot

Pour la suite de la guerre, le front se stabilisa plus au nord, Vieux-Monthier devenant une base arrière pour le transit du fret [7] et pour le combat aérien [8].

Les habitants des maisons des ouvriers sont rentrées rapidement après la remontée du front, accompagnés des Savet-Chevalier résidants à Bar-Le-Duc.
En date du 17 septembre, le journal « Le petit Haut-Marnais » fait paraître les annonces des retours : extrait du journal ci-contre [9].

Les personnes ayant signalé leur retour sont :

  • Clara « Léa » Viet – 19 ans maman d’un petit Roger né en juin 1914,
  • Victorine Bionaz (Personnettaz) – 41 ans, mère de 3 enfants de 8,6 et 4 ans,
  • Marie Zélie Augustine HEBERT – 39 ans – mère de 4 enfants.

Lucie Vaillier, rentre, peu de temps après la libération de Vieux-Monthier. À Quiberon , elle laisse la garde des enfants à sa mère Marie Alice Geminel (60ans). Louis Courot est démobilisé le 17 mars 1915 [10]. Il rentre à Vieux-Monthier, suivi peu de temps après par ses deux fils André et Léon.

[…] jusqu’au jour où les garçons rejoignirent Vieux-Monthier après la libération de Papa [Louis Courot] comme “père de 6 enfants”, les grandes filles restant pensionnaires à l’école libre Ste Anne de Quiberon jusqu’au Brevet Elem de Titi [Cécile Courot] qu’elle obtint à Vannes,en 1915 je crois.

Récit de Marie Courot

Une fois l’année scolaire finie, les filles Courot (Cécile, Marie, Suzanne) rentrèrent dans leur famille.

Bulletin paroissial de Quiberon d’août 1915 – Page 8 – Brevet élémentaire pour Cécile Courot et certificat d’études libre pour Marie Courot. Annonce de la résidence des Courot d’Auzecourt (commune de Vieux-Monthier) à Quiberon- Article du 3 décembre 1914.

Notes et références :

[1] Le blog « papi et mamie Daunay » est un témoignage sur la famille Savet-Chevalier.
http://papietmamie.canalblog.com/

[2] Marie Birckel est l’institutrice privée des enfants Courot de 1909 à juillet 1914. Elle est sur la photo de la famille Courot-Vaillier de cet article. C’est aussi une grande résistante. Pour en savoir plus sur sa vie passionnante :
https://entre2rives.family/2021/08/06/marie-louise-birckel-institutrice-espionne-et-resitante/

[3] Eugène Charles SAVET est le fils aîné d’Henry Eugène SAVET et d’Alix Constance CHEVALIER. Il sera enrôlé dans l’armée en 1917 à l’age de 19 ans et meurt un an plus tard.
Article connexe : Lettre d’Edmond SAVET.

[4] Tapissière : Une tapissière est une voiture hippomobile à quatre roues. Véhicule léger et généralement ouvert de tous côtés (il pouvait parfois être fermé), il servait principalement aux tapissiers pour transporter des meubles, des tapis, etc.
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Tapissi%C3%A8re

[5] Souche d’Argonne – Chronique familiale – 1865 -1947 – Jean-Marie Menu

[6] La forêt de Bellenoue, ou plus exactement le bois de Bellenoue est situé au nord du hameau de Vieux-Monthier. La tranchée de Kellermann traverse ce bois du nord au sud.

[7] Article : La ligne 6 bis.

[8] Article : Les as de l’aviation à Vieux-monthier.

[9] Petites annonces sur le retour à Vieux-Monthier : Le petit Haut-Marnais : républicain quotidien – numéro 260 en date du jeudi 17 septembre 1914 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8235518w/f2.item

[10] Archives de la Meuse. Fiche matricule de Louis Charles Courot. Page 556.
Document : Ministère de la guerre – 6ème région – Subdivision de Verdun . Registre matricule – classe de 1893 2 volume du numéro 501 au 1000.
Il est stipulé : « Renvoyé dans ses foyers le 17 mars 1915. 6 enfants D.M. 3372 7 Mars 1915 ».
https://archives.meuse.fr/ark:/52669/8v6lq02c4s3x/51763500-4a8b-429d-838d-c74a65356715

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